Sur le territoire de l'actuelle Patagonie, les premières traces de peuplement humain remontent à environ 10000 ans. Suivant la piste du gibier, ou fuyant de potentiels ennemis, la migration des Hommes, commencée en Asie, s'est achevée aux confins de la Terre, aux alentours du Cap Horn.
Les Hommes, ce sont les kaweskars (ou alakalufes), nomades de la mer qui au gré des saisons se déplacaient le long de la côte Pacifique, du Golfe de Penas aux rives du Détroit de Magellan. Ils se nourrissaient de cholgas (moules géantes), oiseaux, phoques et autres baleines échouées sur la grève. Seuls les travaux de Joseph Lemperaire et de son épouse nous ont permis d'en savoir un peu plus sur ces marins d'un autre âge. Les quelques kaweskars survivants sont aujourd'hui reclus sur l'île Wellington, à Puerto Eden, ensemble chaotique de baraques en tôle perdu dans la brume australe.
Les Hommes, ce sont aussi les yamanas (ou yaghanes) qui, comme leurs voisins du nord ouest se déplaçaient sur l'eau, au sud de la Terre de Feu, jusqu'au Cap Horn, essaimant ça et là les conchales, restes des festins de cholgas et autres coquillages. A Ukika, près de la base navale de Puerto Williams (au nord de l'île Navarino), vivent encore quelques métis de yamanas et de chilotes (habitants de l'île de Chiloe, à 1500 km au nord, sur la côte Pacifique). Puis, sur le quai de Puerto Williams, il y a cette vieille femme qui vend des miniatures de canots traditionnels; elle est, dit-on, la dernière représentante des yamanas.
Enfin, les Hommes ce sont les onas (ou selknam) et les tehuelches (ou aonikenk, ou...patagons). Les premiers nomadisaient la steppe fuégienne, les seconds la steppe méridionale de l'actuelle Argentine, chassant guanacos, ñandus et les "guanacos blancs" (moutons) importés par les européens. En 1996, la Prensa Austral (quotidien régional de Punta Arenas) publiait un article qui résumait en quelques lignes le destin de la dernière représentante ona: "retour à la terre natale après vingt années d'exil à Buenos Aires; mariée et sans enfants...".
Quant au "dernier des patagons";, il a disparu depuis longtemps dans le flot du métissage.
Durant des millénaires, ces hommes du paléolithique auront survécu dans un environnement aussi rude que le climat, vêtus simplement de peaux de guanaco ou le corps enduit de graisse de phoque, armés de lances, d'arcs et de harpons. Un siècle de contacts suivis avec les Blancs suffira à anéantir des hommes , des cultures, des langues dont nous savons peu de choses. Le fossé qui séparait Darwin de cette "misérable race rabougrie [dont] le langage mérite à peine le nom de langage articulé" (selon ses propres termes) sera comblé par les cadavres des Indiens. Chasseurs de phoques (les loberos) ou de baleines (les balleneros), estancieros, chercheurs d'or, missionaires et gouvernements sont responsables d'un génocide ignoré, car trop éloigné...
Aujourd'hui, le Bureau des Affaires Indigènes Chilien, se contente de recenser les quelques descendants de ces différentes ethnies, les décès aussi...